Et si le confinement était pour nous ce que la chrysalide est au papillon

Voici un texte d’Annie écrit il y a quelques années et qui semble aujourd’hui de circonstance ! Étonnant, poétique, intrigant …

LA CHRYSALIDE

Chenille !…..Quelle plaie !……

Toute la journée, ramper, me traîner, manger, urtiquer, faire pleurer, étouffer l’arbre qui m’héberge, ravager la carotte qui m’accueille…

On m’ demande pas mon avis. Faut que je grossisse, que je bave mon fil de soie. Tout comme les voisines à côté. Je dois produire, produire, produire…

J’avance telle un automate. J’ondule ma carcasse, que dis-je, ce sac qui fait fonction de corps. Ça, ça plaît beaucoup ! On me demande d’être jolie, d’attirer le regard, alors je me pare de mes plus belles couleurs, celle que je sais qui vont plaire, celles qui sont à la mode quoi !

Je me fais désirer, on m’adopte. On me remplit la panse (je ne pense qu’à ça), et je produis. Ainsi, je satisfais aux attentes…

« Regarde ma belle chenille ! Elle est plus belle que la tienne ! Et elle est très efficace dans sa partie ! Elle en connaît un rayon dans le textile ! Sa spécialité, c’est la soie . ».

Je pavoise…mon ego est gonflé à bloc ! Pour un peu, je dirais que j’ai les chevilles qui enflent.

Il me dit que je suis belle, il me rassure…. Il a besoin de moi. Alors c’est que je compte pour lui ? Donc, j’existe !


Ma vie s’écoule ainsi, toujours sur le ventre, satisfaisant aux besoins de mon maître. Je bave pour lui, il se réjouit. Mon salaire est sa reconnaissance.

Il sait me faire baver celui-là…

Me faire ramper à me traîner à ses pieds, à attendre ses caresses, ses mots doux. Il sait sans aucun doute qui je suis.


Et puis, un jour, je me réveille ( On dit que la nuit porte conseil) comme à l’étroit, mal dans ma peau, tellement mal dans ma peau !

J’ai grossi, beaucoup grossi ! C’est tout ce que j’ai trouvé pour me faire une place à moi. J’ai commencé à muer …à déchirer cette vieille enveloppe qui m’étouffe et m’empêche de respirer.

Au secours ! Je n’ai plus les jolies couleurs de ma jeunesse. Je laisse là, l’un après l’autre, les manteaux dans lesquels je me sens de plus en plus engoncée. Les copines m’agacent à toujours vouloir faire des bouffes.

J’en ai marre de répéter toujours les mêmes gestes. J’en ai marre de cette vie d’ouvrière. J’en ai marre de baver devant le chef, marre de ses compliments bidons et de plus en plus rares d’ailleurs… Y a une nouvelle espèce de chenilles qui est arrivée à la magnanerie et il n’a plus d’yeux que pour elle !

Si ce que je fais ne plaît plus, à quoi je vais servir moi ?

S’il ne me dit plus qui je suis, comment je vais savoir qui je suis ?

Maintenant , je suis délestée de mes horri(bles) peaux. Cette situation me coupe l’appétit. Je n’ai plus faim. Plus envie de bouffer, baver, pour l’intérêt général. Juste envie de dormir, de partir, de m’isoler, de ne plus être là…


Alors c’est décidé !

Besoin de solitude pour y voir plus clair. Besoin de descendre dans mon puits intérieur, d’y faire le ménage. Besoin d’entrer en moi, d’aller y regarder de plus près. Stop l’activité effrénée ! Une pause pour me poser…

Comme le bambou qui va mettre cinq ans à sortir à la lumière, j’ai besoin de trouver mes racines, de savoir ce qui va continuer à m’encrer dans la terre, si j’envisage d’aller voir plus loin, et de regarder les choses d’un peu plus haut.

Maintenant je vais baver pour moi.

Et je construis ma chrysalide.

Je me mets à tisser mon cocon, je bâtis ma maison.

Je choisis plutôt le bois, c’est plus écolo. Le petit cochon, avec sa maison en briques, il me fait bien rire… Ça va lui coûter cher en chauffage, tandis que ma maison à moi, est juste ventilée comme il faut et je profite de tous les rayons du soleil.

Trois branches solides et je décide de m’appuyer sur cette structure. Je m’entoure de mon fil de soie encore et encore et je m’endors… Dans la soie, quel bonheur ! Presque un luxe…

Mon sommeil est agité…

Il faut savoir lâcher le passé. Je me repasse le film de mon existence de chenille. D’abord une larve (un lardon dirait mon père), puis une ouvrière consciencieuse, nourrie à coup de
« c’est bien ma fille ».

… mais au ras des pâquerettes… rien de très excitant dans tout ça.

Pas vraiment d’horizon à l’horizon. D’ailleurs il est où l’horizon quand tu passes ta vie au ras du sol ?

Je réalise que je suis seule maintenant. C’est difficile cette solitude….

C’était sympa quand même de faire la même chose que les copines, d’avoir les compliments de l’autre. Au moins je vivais des trucs, on riait bien, j’étais émoustillée, flattée, par le regard de l’autre. Mais qu’est ce qui m’a pris de partir comme ça ??

Tiens, c’est curieux ! Qu’est ce qui se passe là ? Je me sens pousser des ailes !

Non !

Ben si !!! C’est bien ça ! On dirait bien que je me transforme… ! Je suis en train de changer !

Comme si c’était moi, sans être moi. Quelque chose me dit que je suis bien capable d’y arriver sans l’assentiment de l’autre maintenant. Il suffit que ce soit moi la petite voix qui me fait du bien… Et regarde moi ces superbes ailes qui ont poussé !

Ben ça alors !?!

Je ne ressemble plus du tout à celle que j’étais avant ! J’ai pris confiance en moi. Je me sens belle, pleine d’énergie, capable de déplacer des montagnes. Oui, bon, je sais, c’est juste une image…

Bon ben…. c’est pas tout ça, mais j’ai l’impression que dans mon cocon aussi je suis à l’étroit… ce doit être le temps pour moi d’aller explorer le monde.

D’ailleurs, je vois de la lumière par les volets. Il doit faire grand jour ! Et on dirait qu’il fait beau ! Assez dormi. Quand faut y aller, faut y aller !

Yes ! En sortant je remplis mes poumons, je laisse sécher mes ailes au soleil et….

Je m’envole !!!! Je vole ???!!!


WOUAW !!!!!!!

Ben si on m’avait dit avant que le monde était si vaste, si beau, si grand, si vivifiant, si surprenant, si nourrissant, si chatoyant, si gai, si chaleureux, si créatif, si……..

Je crois bien que je ne l’aurais pas cru !

Vive la métamorphose !

Yiiiiiiiiiihaaaaaaa !!!!!!!!!

Annie B.

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